Allier féminisme et psychologie, pourquoi?

Un des termes fondamental du cadre d’un suivi thérapeutique est « la neutralité bienveillante ». Proposer d’emblée un espace féministe vient directement confronter cette notion de « neutralité », notion qu’il est important de questionner.

La neutralité se définit comme étant « Un caractère, une attitude d’une personne, d’une organisation, qui s’abstient de prendre parti dans un débat, une discussion, un conflit opposant des personnes, des thèses ou des positions divergentes ».

Ors ce qui a fait office de neutralité pendant des années en psychologie était l’homme, cisgenre, blanc, hétérosexuel. Cette posture peut induire dans la pratique des biais sexistes, racistes, hétéronormés et transphobes en plus d’invisibiliser des problématiques inhérentes à ce groupe social (nous y reviendrons à la fin de l’article).

Ainsi la thérapie féministe se définie comme étant « Toute thérapie qui s’exerce en considérant les femmes à partir d’elles-mêmes, comme sujets, et non plus comme objets ou compléments de l’homme. Les grilles d’analyse sont sociales, politiques et intrapsychiques. » (Corbeil, 1979). Cette approche est à différencier de l’approche « asexiste » où le thérapeute essaie de ne pas être discriminatoire dans ses évaluations des femmes, sans prendre en compte la dimension politique.

La psychologie « traditionnelle »

La psychologie traditionnelle peut être considérée comme sexiste pour plusieurs motifs :

  • Elle ajuste les femmes à des situations injustes.
  • Elle fait de conflits créés par l’injustice économique et social un conflit intrapsychique uniquement.
  • Elle reproduit le modèle médical et autoritaire en plaçant le.la patient.e dans une posture d’ignorant et le.la thérapeute comme « sachant.e » augmentant ainsi l’impression que le.la patient.e n’a pas les ressources nécessaires pour résoudre ses problèmes.

Les thérapies humanistes et systémiques semblent être une bonne porte d’entrée pour atténuer ces phénomènes, cependant elles ne prennent pas nécessairement en compte la dimension politique du groupe sociale du.de la patient.e et n’induisent pas automatiquement un travail de déconstruction des biais sexiste du.de la psychologue/thérapeute.

En effet, les évaluations peuvent différer selon si le.la thérapeute/psychologue travail avec un homme ou une femme. Il a été démontré que ces différences peuvent s’exprimer (Corbeil ; 1979) :

  1. En favorisant les rôles stéréotypés suivant les sexes et en décourageant l’innovation.  
  2. En ayant des attentes différentes et discriminantes suivant les sexes.
  3. En utilisant des construits psychanalytiques de façon dénigrante pour les femmes.
  4. En considérant les femmes comme des objets sexuels.

Par exemple :

– Tout le monde considère comme normal un homme qui s’affirme, sait prendre des décisions, est capable d’idées claires.

– Tout le monde considère comme normal une femme qui a peur, s’oublie pour les autres, est timide, passive, retirée.

Un autre moyen très simple de se faire une idée des stéréotypes sexistes de notre société consiste à chercher les synonymes d’« Homme » et de « Femme » sur internet. A vos claviers !

En ayant grandi et vécu dans une société patriarcale nous avons tous et toutes plus ou moins intériorisé ces biais sexistes. Il ne s’agit pas ici de diaboliser d’autres approches thérapeutiques mais d’alerter sur le fait que ces discriminations peuvent se rejouer dans le cadre thérapeutique, et davantage encore si la question n’a pas été soulevée.

Une autre approche : L’intervention féministe en psychothérapie

L’intervention féministe en thérapie prend racine dans les années 60 et se fonde sur les critiques du sexisme en psychothérapie, citées précédemment, l’expérience des groupes de paroles féminin d’auto-conscientisation en non-mixité et l’intervention radicale. (Coderre & Hart ; 2003).

Les groupes d’auto-conscientisation sont des lieux d’expression. Chaque femme y est considéré comme une autorité pour parler de son expérience. Ils impliquent la démocratie sororale, expertise personnelle et analyse sociale.

Ces groupes ont permis de découvrir une solidarité à partir des liens entre leur vécu personnel et l’oppression commune, et parfois d’agir individuellement ou collectivement contre cette oppression. Leur démarche était, et est, d’encourager les femmes à dépasser les comportements de dépendance ou de passivité et à acquérir de nouvelles compétences de leadership. (Home ; 1998).

Enfin, l’intervention radicale s’inscrit dans l’anti-psychiatrie. « Cette dernière privilégie […] le groupe comme moyen de combattre l’oppression. Elle incorpore certaines pratiques d’approches humanistes et s’inspire avant tout de l’analyse transactionnelle. » (Coderre & Hart ; 2003).

De ce fait, l’intervention féministe s’appuie sur 4 principes fondamentaux :

  1. Établir des rapports les plus égalitaires possibles
  2. Faire connaître la réalité des femmes
  3. S’engager auprès des femmes
  4. Croire en leur force, en leur potentiel, en elles.

Patriarcat et santé mentale des femmes

En France, 14,5 % des femmes ont subit des violences sexuelles au cours de leur vie (Enquête VIRAGE ; 2015). et 230 000 femmes par an subissent des violences conjugales (https://arretonslesviolences.gouv.fr/).

En 2020, le sondage IPSO réalisé révèle que 10 % des français ont été victime d’inceste (Site Face à l’inceste). 8 victimes sur 10 sont des femmes et plus d’une victime sur 5 sont des hommes.

En 2019, 84 % des morts au sein du couple suite à des violences conjugales étaient des femmes. 52 % des femmes ayant tué leur conjoint étaient elles-mêmes victimes de violences conjugales.

Ces chiffres ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale des femmes : Syndrome de stress post-traumatique, dépression, addictions, phobies, troubles alimentaires peuvent être les conséquences de ces violences.

Face à ce risque de connaître une violence, et dans leur vie quotidienne, les hommes et les femmes ne sont pas égaux dans leur gestion des émotions. En effet, le genre assigné à un individu durant son enfance va conditionner son rapport aux autres et à ses émotions.

« Globalement, les garçons sont plutôt encouragés à ne pas exprimer leurs émotions car celles-ci sont perçues comme relevant de la féminité. Néanmoins, il existe une exception à cette règle. En effet, la colère, émotion dirigée vers l’extérieur, est considérée comme acceptable pour les garçons. Les filles, quant à elles, peuvent exprimer une plus large variété d’émotions (notamment de la peur ou de la tristesse qui sont des émotions dirigées vers l’intérieur) mais elles sont mal perçues lorsqu’elles manifestent de la colère. » (Nuncic ; 2018).

Limitées dans les émotions socialement autorisées à exprimer, les femmes ont plus de risque d’internaliser de la tristesse ou de la peur et donc de souffrir de dépression et ou d’anxiété. (Chaplin & Aldao ; 2013).

Penser la situation des femmes pour panser la situation d’une femme

Ce travail de conscientisation de la situation sociale, politique et historique des femmes est un premier pas vers l’identification de son impact sur notre rapport au monde, aux autres et à nous même. Il ne s’agit pas d’oublier l’individu et de gommer son unicité, mais d’articuler les difficultés rencontrées au système dans lequel cette dernière a grandi et évolue.

Pour ma part, c’est aussi prendre conscience des biais sexistes et autres stéréotypes que j’ai pu internaliser.

Un exemple : Tout comme le « syndrome méditerranéen », stéréotype raciste du monde médicale qui se caractérise par le fait qu’un.e soignant.e va penser que le/la patient.e exagère ses symptômes et douleurs quand ces dernier.e.s sont racisé.e.s, une femme qui exprime sa souffrance a plus de risque d’être soupçonnée d’exagérer. Pourtant, je n’ai pas eu connaissance de ce phénomène au cours de ma formation universitaire mais par le biais de mes propres lectures.

Et les hommes ?

Nous pourrions croire que la santé mentale des hommes blancs hétérosexuel et cisgenre, catégorie sociale dominante dans une société patriarcale, n’est pas impactée par ce système. Pendant longtemps, le monde de la santé à considéré l’homme comme la neutralité, la norme et les études spécifiques à cette tranche de la population ont tardé à être menées.

Il a fallu attendre 2018 pour que l’Association Américaine de Psychologie (APA) publie ses recommandations de traitement pour eux, ces derniers n’étant pas pensé comme ayant de besoins spécifiques, ors :

  • Le taux de décès par suicide est 3,5 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes.
  • Ils rencontrent plus de difficultés à l’école.
  • Ils sont plus sévèrement punis à l’école.
  • Ils représentent 77 % des victimes d’homicides.
  • Ils représentent 90 % des auteurs d’homicides.

Leur explication ? Une adhésion à une masculinité traditionnelle. En effet, si les petites filles sont réprimées dans l’expression de leur colère, les petits garçons grandissent également avec leur lot d’injonctions. Encouragés à réprimer la peur ou la tristesse, les hommes vont davantage internaliser des émotions comme la colère ce qui peut se traduire plus tard par des troubles de la personnalité antisociale, l’addiction à l’alcool et des comportements agressifs (Chaplin & Aldao ; 2013).

On comprend alors l’apport de la pensée féministe dans un travail thérapeutique auprès d’hommes cisgenres.

Ouverture sur le genre

La vision développée dans cet article s’avère très binaire, Homme/Femme, ors le mouvement « Queer » nous propose d’élargir ce champs de vision. Si le genre assigné à la naissance va grandement influencer la socialisation d’un.e individu.e, cela ne correspond pas nécessairement à son rapport à lui.elle plus tard. Nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain article !

Références

Articles universitaires

  • Chaplin, T. M., & Aldao, A. (2013). Gender differences in emotion expression in children: A meta-analytic review. Op. Cit.
  • Coderre, C. & Hart, J. (2003).Pratiques d’intervention féministe auprès de femmes survivantes d’agression à caractère sexuel : le contexte franco-ontarien. Reflet, 9.
  • Corbeil, J. (1979). Les paramètres d’une théorie féministe de la psychothérapie. Revue de la santé mentale du Québec , 4 (2) 63-86.
  • Home, A. (1998) Les groupes de femmes : outils de changement personnel et de développement. Par-delà les barrières des sexes, Volume 37, numéro 1-2, 1998.
  • Nuncic, P. (2018) Genre et santé mentale, pourquoi les hommes et les femmes ne développent pas les mêmes psychopathologies ? Genre et santé mentale – FPS 2018.

Presse

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Jeanne-Lise Cornin

Diplômée d’un master en psychologie clinique et psychothérapie et d’un master en ingénierie pédagogique pour adultes, j’accompagne des adultes victimes de violences intrafamiliales, conjugales, sexistes et/ou sexuelles depuis 6 ans.

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En cas d’urgence, contactez le 15 (Samu)

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